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14/02/2016

Entretien avec Nicolas Lebel

sans_pitie.jpegAprès avoir chroniqué son dernier roman Sans Pitié ni remords, Cassiopée a souhaité avoir un entretien avec Nicolas Lebel.

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Cassiopée. Vous êtes linguiste, traducteur et enseignant d’anglais, vous avez encore le temps d’écrire des romans, comment faites-vous ?

 Nicolas Lebel. J’écris principalement sur du temps volé ! Peu d’auteurs en France aujourd’hui peuvent vivre de leurs écrits. La plupart ont un emploi à plein temps. Je ne suis pas une exception. Il faut donc lutter pour créer cet espace-temps d’écriture : c’est le plus difficile.

 C. Ecrire… pourquoi, pour quoi, pour qui ? Avez-vous toujours écrit ? Est-ce une façon d’être, d’exister ?     

N.L. J’ai d’abord écrit par amour, pour écrire des lettres, puis des cahiers entiers à un amour de jeunesse ! J’y passais des heures, à écrire sur tout et n’importe quoi, à essayer de lui/m’expliquer ce que je ressentais pour elle… Puis j’ai commencé à écrire de la fiction, des poèmes, des nouvelles, des scénarii de jeux de rôle dont je suis amateur… Quelques piges pour la presse. J’ai traduit un peu également.… La première fiction que j’ai finalisée est une épopée lyrique d’ heroic fantasy en alexandrins (Les Frères du Serment)qui a causé la faillite d’un éditeur et dont j’ai vendu à ce jour, chez un autre éditeur, une cinquantaine d’exemplaires. Un vrai désastre financier ! Mais 4200 alexandrins ! 3 ans de travail ! Un vrai bonheur !

Je pense qu’il existe une sorte de pulsion de l’écriture, une envie, un besoin de dire, de raconter. Est-ce cathartique, thérapeutique ? Je ne sais pas… J’ai écrit quatre bouquins, j’écris le cinquième et je n’ai pas l’impression d’aller mieux !

 C. Qui vous a donné le goût de la lecture ?

 N.L. Le livre n’était pas un objet usuel à la maison. J’ai pourtant toujours lu, rarement ce que l’école voulait que je lise, mais j’ai toujours pris plaisir à lire. Ce n’est que tardivement que j’ai compris ce que j’avais lu, gamin. J’ai été obligé de lire le Rouge et le Noir, Madame Bovary et Eugénie Grandet trop tôt, à m’en dégoûter de leurs auteurs que je n’ai redécouverts que plus tard, le temps venu. Mais c’est grâce à l’école que j’ai lu Maupassant, Baudelaire, Poe, Rimbaud, Racine, Beckett, Borges…

 Écrire m’a amené à regarder de plus près comment les autres s’y prenaient. Ce ne sont donc pas des écrivains qui m’ont donné envie d’écrire ; en revanche, la maîtrise de certains m’a laissé sans voix : Je citerais volontiers pêle-mêle Maupassant, Poe, Shakespeare, Eco, H. Miller, Borges, Faulkner… Le polar est venu par la suite. Je connaissais mes classiques ! Mais j’ai vraiment redécouvert un genre avec Daenninckx, Pouy, Jonquet, puis Dantec, Lehane, Mankel…

C. Votre écriture est vive, vos scènes visuelles (la scène du cimetière de votre dernier livre, j’y étais ;-), est-ce que vous « jouez » les scènes avant de les écrire ?

N.L. J’ai la chance de voir très clairement la scène que j’imagine. Tout, ensuite, est une question de point de vue : où poser la caméra ? Est-elle externe ? Est-ce le regard d’un personnage ? Pourquoi l’un plutôt que l’autre ?

Cette scène du cimetière par exemple, dans Sans Pitié ni remords, rassemble des amis devant un cercueil. De l’autre côté, le prêtre officie et le croque-mort patiente. Une présentation en rotation aurait affadi la scène. Par ailleurs, le prêtre dans sa litanie parle de l’âme du défunt qui observe les vivants réunis ici-bas. Il n’en fallait guère plus pour décider de voir la scène d’en haut : le chapitre commence donc par « vus du ciel ».

Ce travail est très cinématographique. Il permet une aide à la mise en images : une aide à l’imagination.

 C. L’ humour est constamment présent entre les lignes, est-ce pour le plaisir de sourire, pour dédramatiser le côté « polar noir » ou parce que le rire fait partie de votre vie ? (je vous ai trouvé très souriant lors de notre rencontre)

 N.L. « L’humour est la politesse du désespoir » Je suis un Desprogien pratiquant. Je ne pourrais pas écrire un roman totalement noir, sans espoir, asphyxiant. J’ai besoin comme tout le monde du phare dans la tempête, de la lueur dans la nuit. Certaines scènes entre Mehrlicht et son copain mourant d’un cancer à l’hôpital sont clairement burlesques. D’autres passages sont très tristes. Je travaille à cet équilibre dans chacun de mes romans. Je tiens à ce que le lecteur en ressorte avec le sourire, pas avec le dégoût de l’humain, son voisin…

 Et puis si je ne m’amuse pas dans l’écriture, à quoi bon ? Et le lecteur s’amusera-t-il dans sa lecture ?

 C. Certains de vos lecteurs disent que votre écriture se bonifie avec le temps. Etes-vous d’accord avec ce constat ? Pensez-vous que plus on écrit, plus notre style s’affirme, plus c’est « facile » ?

 N.L. Je les remercie du compliment ! Écrire, c’est beaucoup de travail, puis de re-travail. On finit par connaitre ses faiblesses et on veille à y remédier. Je réécris, j’étoffe, je supprime, je corrige… Je ne crois pas que l’écriture devienne « facile », à un moment. J’aimerais le croire ! Mais c’est principalement du travail et rien ne coule de source.

Quant au style, j’espère écrire d’une manière propre, reconnaissable, mais ce n’est pas un but en soi.

 C. Comment vous est venue l’idée du personnage de Mehrlicht ? Comment avez-vous construit sa personnalité, son caractère, son physique ? Va-t-il devenir un personnage récurrent ?

 N.L. Le capitaine Mehrlicht est un flic qui agrège des éléments notoires des archétypes du flic : l’imperméable de Columbo, l’âge de Maigret, la clope de Bourrel, l’argot de Vidocq… Ce sont précisément ces éléments qui font de Mehrlicht un personnage différent, parce qu’il est d’un autre temps, en décalage et en souffrance. C’est un petit homme rongé par la Gitane et par le deuil, à la peau jaune, à la voix éraillée, un homme fragile et cynique, vieillissant et obsolescent, raide et réac. Mehrlicht, c’est aussi un amateur de bouquins, un érudit vieille-école qui n’approche ni télé ni ordinateur et qui distribue les vannes comme autant de gifles, jusqu’à en devenir pénible... Mehrlicht n’est pas un lonesome cowboy. Il dirige un groupe d’enquêteurs : le lieutenant Dossantos, personnage physique et légaliste jusqu’à l’absurde, et le lieutenant Latour, une rousse flamboyante qui tempère les excès des deux autres. Dès le premier opus, L’Heure des fous, les lecteurs ont apprécié ces personnages tant individuellement qu’ensemble. C’est une alchimie qui fonctionne. Alors Mehrlicht attaque sa quatrième enquête !

 C. Il me semble que lorsque vous écrivez, vous aimez à jouer avec les mots. Est-ce une façon d’établir une complicité avec le lecteur ? Ou est-ce que les mots sont magiques et vivent leur propre vie ???

 N.L. J’ai une passion profonde pour la langue, pour son fonctionnement, pour sa vie, sa magie. Il n’est donc pas étonnant que l’on retrouve nombre de jeux de langue dans mes bouquins. Dans Sans pitié ni remords, on trouve des acrostiches, des alexandrins. Il y a même un sonnet ! La Langue Verte, l’argot, est mise à l’honneur dès le premier opus, L’Heure des fous

Raconter une histoire, c’est bien, mais pourquoi écrire si l’on n’a pas l’envie de pétrir la langue, de la façonner, de la tirer jusques en ses limites ? C’est la partie la plus jouissive du travail d’écriture !

 C. Aimez-vous rencontrer vos lecteurs ? Arrivent-ils à vous surprendre ?

 N.L. Avec plaisir ! Je suis d’abord souvent surpris que des gens aient envie de me voir, et flatté qu’ils parcourent des kilomètres pour me rencontrer.

Et puis on écrit pour être lu ! Le lecteur reste la cible de ce travail d’écriture ; son retour est donc essentiel. Certains sont très tatillons et vérifient tout, alors il faut être carré dans la documentation ! D’autres ont des questions très pointues sur des points de littérature ou d’histoire abordés dans mes romans. D’autres encore viennent partager un ressenti, une émotion, un désaccord. J’ai eu des plaintes à la mort de Jacques, certains lecteurs ne me pardonnant pas d’avoir « tué » ce personnage et venant en salons me le dire en face !

 Avec les années, j’ai sympathisé avec certains. C’est chouette de se retrouver de salon en salon ou sur Facebook ! ou au troquet du coin !